Les Dossiers Secrets du Pentagone

Les Dossiers Secrets du Pentagone, présenté par Lucien Bodard.


(traduit de l'anglais par Renaud Bombard)

Lucien Bodard était un spécialiste de l'Asie (il passa son enfance en Chine, celle d'avant Mao, puis revint en Asie de nombreuse fois et participa à la guerre d'Indochine comme reporter de 1948 à 1954.

Ce n'est pas lui qui à écrit ce livre, il ne fait que le présenté, brillamment d'ailleurs.
Les auteurs ne sont que, entres autres, Dull le secrétaire d'état correspondant de l’ambassadeur en Indochine, Dillon, ou John Fitzgerald Kennedy et son conseillé Walt Rostow, puis le président Johnson et l'incontournable McManara, en passant par le conseillé à la sécurité Nationale, George McBund, et bien sur quelques généraux en mal de bombardements et d'hommes.

Les "câblogrammes" comme on les dénommaient encore à cette époque, présentés dans ce livre comme une série d'échange chronologique entre les "têtes pensantes" des différents gouvernements américain qui se succédèrent dans cette guerre.

La lecture de ce livre n'amène pas de scoop ni de secret inavouables, mais plutôt met à jour de manière claire et détaillée le développement, ou plutôt, la stagnation décisionnaire qui va pousser les USA à s'enfoncer inexorablement dans les sables mouvant Vietnamien.

Pour ma part la première partie m'a vraiment étonnée car les échanges commencent alors que "notre" guerre n'est pas encore terminée et plus tard en cours de négociation. En effet les échanges "diplomatiques" sur la situation Française démontrent très clairement le peu de confiance qu'avait le gouvernement américain face à notre politique coloniale, mais il joue sur les deux tableaux, en tendant la main pour la logistique et l'armement, mais refusant toute action (Bombardement, transport de troupe) sur le terrain qui aurait fait la différence sur bien des batailles. Donc on sert de chair à canon pour repousser le communiste, mais lorsque vous en aurez terminé, il serait bien que vous partiez.

Dans cette même période, alors que nous pataugeons encore dans Dien Bien Phu, et plus tard, alors que les troupe Française évacue le pays et que le Viet-Minh quant à lui quitte le Sud, les actions subversives, allant du parachutage de tracts, de propagation de fausses nouvelles anxiogènes, et allant jusqu’à envoyer des agents vietnamiens faire du sabotage, voir des attentats envers des cadres supposés ou avérés du Vietminh battent leur plein. Donc cette manière de jeter de l’huile sur le feu, bien conforme aux méthodes encore employées aujourd’hui, n’a d’ailleurs pas les résultats escomptés et de l’aveu même des rapports, les agents infiltrés sont presque tous supposé avoir désertés ou éliminés, voir pire, retournés.

Les échanges sur le maintient ou non de Diem au pouvoir sont nombreux et représente presque la première moitié du livre. Au file des rapports, les doutes et les questions commencent à laisser place à une volonté claire de pousser une partie de l’armé Sud Vietnamienne à se soulever, et au fur et à mesure le plan et les soutiens sont de plus en plus précis, et clairement appuyer pour changer de régime, qui au regard de la diplomatie Américaine, serait trop encline à soulever le peuple et ainsi mâcher le travail aux Viêt-Cong, et d’un autre coté, Diem, pour éviter justement un soulèvement général, est tenté de faire des compromis et d’ouvrir des négociations inacceptables pour les USA.

On sait que MacManara démissionnât peu après l’offensive du Têt, et l’histoire nous donne l’image d’un départ suite à un échec de sa politique, mais ce que révèle les dossiers, c’est que bien qu’un chantre de la guerre au début du conflit, celui ci fit un rapport tendu en Mai 67 sur l’inefficacité des actions Américaines et leurs responsabilités dans l’aggravement de la situation.
Un passage m’aurait fait sourire s’il ne démontrait pas une certaine naïveté, une sorte de foi presque mystique que les Américains ont porté dans leur mission « démocratique » du monde libre:

MacManara : « D’après certaines déclarations faites en privé par les communistes, et après ce qu’ont pu apprendre certaines personnalités occidentales compétentes, il semble bien que les accusations d’ « hypocrisie » et de « mauvaise foi » portées contre les États Unis ne constituent pas seulement des artifices de propagande. Tout porte à croire en effet que les communistes estiment que nous ne désirons pas mettre un terme à cette guerre, sinon par une victoire militaire. » En d’autre mot, qu’aucune concertation n’est possible avec les politiques US appliquées au conflit.

Bref c’est un peu comme si McManara, par ce constat qui fait presque forme d’aveu dans ces quelques lignes, découvre subitement une politique qui avait porté, et défendue, durant plus 6 ans ! Étrange aveuglement idéologique.

Le rapport de McManara, où il est clairement énoncé une solution du conflit par la concertation, voir la négociation, est contesté sèchement par le général Wheeler chef d’état major interarmes qui lui veut une surenchère de moyen. La proposition des 750 000 hommes sera encore mise sur le tapis. D’ailleurs cette escalade se traduira par finalement un élargissement du conflit.

En conclusion ce livre nous offre les lignes des manœuvres politiques, un tissu d’informations factuelles, un maillage de propositions, qui, quelque part n’évolueront que peu durant la période 54-67.
L’aplomb diplomatique Américain frise parfois le mépris vis à vis du sort de la population, et montre aussi le peu d’estime que les conseillés et militaires américain ont des gouvernements sud-vietnamiens successifs. La course à l’extermination communiste rend cette politique inepte et trop détachée du quotidien Vietnamien pour être efficace.
Quelque part, la mystique anticommuniste se confronte à la mystique totalitaire du communisme Viêt-Cong, et l’issue de ces deux tendances, qui à bien y regarder sont parfois aussi extrême l’une que l’autre, vont amener à une éternelle stagnation que seule l’usure du temps et des convictions pourront débloquer.

Que McManara s’étonne de « mauvaise foi » de la part de sa politique militaire serait vraiment une bonne blague si cela n’avait pas été aussi funeste.

Editions Presses de la Cité. 1971. 282 pages.

Tient en passant

http://rue89.nouvelobs.com/2016/12/06/a-voir-cia-met-ligne-plans-declassifies-265829?utm_campaign=Echobox&utm_medium=Social&utm_source=Facebook#link_time=1481020860

(je ne savais pas que la CIA avait un compte Flickr!! )

L'affaire des "Pentagon Papers"
En 1971, le Washington Post rendit public des extraits du document classé secret défense "United States-Vietnam Relations, 1945-1967: A Study Prepared by the Department of Defense". Emanant du département de la Défense, comptant pas moins de 7000 pages, celui-ci détaillait l'implication politique et militaire américaine dans la guerre du Vietnam. Sa publication éclaboussa la classe politique US de l'époque. Pentagon Papers ("Papiers du Pentagone") désigne ce document dans le langage populaire.

En salle en ce moment.

http://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=254356.html

Très intéressant Javel ! Merci bien pour cette review et cette belle analyse !

Certain aime à dire que l'histoire se ressemble et se répète. Dans bien des cas, surtout en matière militaire, c'est assez vrai.

Pour ceux qui sont abonnés au Monde un article qui résonne étrangement avec la guerre du Vietnam et le livre cité plus haut. D'ailleurs c'est encore le Washington Post qui révèle encore une fois des documents à charges sur la manière que l'on eu des USA de mener la guerre en Afghanistan.

https://www.lemonde.fr/international/article/2019/12/09/qui-dira-que-cette-guerre-a-ete-menee-en-vain-les-afghanistan-papers-revelent-l-ampleur-des-dysfonctionnements-du-conflit-en-afghanistan_6022261_3210.html?utm_medium=Social&utm_source=Facebook&fbclid=IwAR2fbrqM9UCCXuoYZFgY3j1xetzpT4oYBn3rTGwiYQjRyIXFwCERh7igLSQ#Echobox=1575970519

J'ai toujours eu l'impression qu'il a manqué de tout temps aux américains un certain "feeling", une inadaptation chronique aux populations et aux pays où ils combattent. Cependant si certaines analyses sur le terrain se révèlent probantes pour mettre en place des plans de bataille, pacification etc, c'est l'aspect "économique" qui semble guider leurs dirigeants plutôt que l'aspect politique.

Pour rester dans le conflit et sans entrer dans ds détails que je ne maîtrise pas, la France sur le conflit indochinois intégrait dans ses forces des autochtones. Les USA (re)mirent sur pied l'armée sud-vietnamienne, mais cette dernière a toujours été "sur le côté" et non pas réellement intégrée au dispositif militaire US.

C'est un peu comme ça partout où ils passent me semble t'il.

Le seul échelon où cette intégration s'est fait c'est pour les forces spéciales. Mais ça reste juste "mon impression" et non une expertise

blueballs a écrit:...la France sur le conflit indochinois intégrait dans ses forces des autochtones. Les USA (re)mirent sur pied l'armée sud-vietnamienne, mais cette dernière a toujours été "sur le côté" et non pas réellement intégrée au dispositif militaire US.Le seul échelon où cette intégration s'est fait c'est pour les forces spéciales. Mais ça reste juste "mon impression" et non une expertise

C'est une vision qui me semble erronée. D'une part l'armée sud-vietnamienne existe - et est soutenue dans un premier temps par les français et les US dès la création du Sud Vietnam - dans les 50's. C'est une armée soutenue certes, mais autonome. Les premières forces armées envoyées par les USA sont des conseillés, accompagnés d'une quantité impressionnante de matériel. En 1965, lors de l'entrée en guerre des USA, l'armée sud-vietnamienne travaille souvent de concert et sur des missions menées conjointements. La difficulté se situe surtout au niveau politique car les hauts gradés de cette armée sont en grande partie corrompus et servent surtout leurs propres intérêts, ce qui va mettre à mal cette collaboration alliée durant tout le conflit.

D'autre part, les forces américaines ont repris dès le départ l'exemple des français en ce qui concerne l'utilisation des autochtones (cf. Hamlet Program) et cela donnera souvent d'excellents résultats, surtout en matière de renseignement. RUFF/PUFF, Montagnards auprès des SF, LDNN pour les SEALS, KCS auprès des différentes unités US (que ce soit dans l'infanterie, mais aussi chez les LRRP, les SF, les SEALs,...), la Field Police,... il y a eu énormément de programmes mis en places pour travailler de concert avec les forces locales - les plus à même de connaître le terrain - et obtenir ainsi des renseignements relativement efficaces. Le plus gros soucis étant les VC infiltrés dans toutes ses différentes branches et la "counter-intelligence" que cela pouvait amener.

C'est donc surtout sur ces deux points, politique et infiltration, que les américains vont se retrouver confrontés et perde souvent leur confiance en l'armée sud-vietnamienne et leurs homologues de terrain. D'où tensions, exclusions, refus de partage de certaines informations avec l'armée du sud,... Mais les "joint opération" sont nombreuses, même si dans l'histoire la plus souvent disséminée depuis, les sud-vietnamiens sont les oubliés de cette guerre. D'ailleurs la plupart des grandes opérations sont vues dans le prisme américain. Pour la bataille de Huê pour ne citer qu'elle, c'est 11 bataillons sud viet qui sont déployés et "seulement" 3 bataillons de marines. Mais cette bataille est toujours vu du côté US. Pourtant ils ont bien combattus ensemble et de concert...

Vous avez tout les deux raisons.

Pour l’Indochine, le gouvernement colonial avait mis très longtemps à mettre en place des supplétifs. La suspicion et la paranoïa militaire est un grand facteur de cette erreur d'appréciation et ce retard, mais le contexte historique était loin de leur donner tord aussi.

Après il est toujours délicat de faire la comparaison avec les troupes américaines, bien que les méthodes, au niveau des forces spéciales française ont bien inspirées les FS US et d'ailleurs ont obtenus d'excellent résultats, mais cette "intégration" était effective sur un nombre d'homme réduit et non sur une armée. De plus certaines ethnies étaient facile à convaincre et avaient aussi motif à se battre contre les Annamites, qu'ils soient du Nord comme du Sud.

Lors de la guerre d'Indochine les supplétifs furent de bon soldats, d'ailleurs pour certain d'anciens Vietminh débandés dont l'esprit politique était plus proche de la gamelle que du petit livre rouge. Malheureusement employé tardivement et malgré une très grande efficacité, ne purent faire infléchir la vague déferlante Vietminh.

Pour en revenir à la bataille d'Hué, c'est là un cas emblématique: Lors des précédents "batailles" les Sud Vietnamien ont fait preuve de compromission, de lâcheté et de mauvaise volonté vis à vis de cette guerre car porté par l'incroyable logistique américaine, presque protégée par le formidable arsenal sous lequel ils se croient invincibles.
Lors de la bataille de Hué, en effet il y eu un sursaut brillant des forces Sud vietnamienne qui tient au fait du symbole de cette ville, sorte de Stalingrad Vietnamien qui ne devait pas tomber, et s'ils n'avaient pas été là à se battre comme des beaux diables, les pertes Américaines auraient été catastrophiques. (J'ai même lu un rapport d'un soldat US qui parlait des pillages réalisé par les GI's pendant que les Vietnamien tenait le front!)

Après on en revient toujours au même soucis, les politiques ont tendances à croire que sur le terrain on a une mauvaise vue de l'ensemble, ils n'ont pas fait dans le détails (je parle des USA) et comme tout le monde sait, le diable se cache dans les détails.

Effectivement, nous avons raison Javel... Après il faut aussi faire la distinction au sein même des troupes sud vietnamiennes des différentes unités. Les Marines sud Vietnamiens ont été très combatifs durant tout le conflit, tout comme les paras. Deux unités remarquables, sans doute loin de l'infanterie classique. Vivement qu'un livre sérieux sorte sur le sujet, car l'histoire militaire du sud Vietnam est bien peu connue. Mais ça devrait venir d'ici quelques années. Les traces sont peu nombreuses car ayant pour beaucoup disparues après l'annexion du pays et la destruction de la quasi totalité des archives. Le Nord a bien travaillé à effacer et dissimuler bien profond l'histoire de ce pays...

Puff a écrit:Les traces sont peu nombreuses car ayant pour beaucoup disparues après l'annexion du pays et la destruction de la quasi totalité des archives. Le Nord a bien travaillé à effacer et dissimuler bien profond l'histoire de ce pays...

Malheureusement le régime Communiste bien formé à l'école Russe a su très rapidement et brutalement gommer tout un pan de son histoire et sa culture avec.