Naissance d'une Nation

Naissance d'une Nation, choses vues au Vietnam. Yvonne Pagniez. Édition La Palatine, 1954. 255 pages.

Voilà longtemps que je n'étais pas venu avec un bouquin que personne ne lira jamais.
Voilà longtemps aussi que je me demandais si ce livre de table de nuit pas tout à fait au-dessus de la pile allait être enfin ouvert.

Comme j'ai un peu la flemme de vous faire la présentation de l'auteure, qui pourtant gagne à être à nouveau connue (Chevalière de la Légion d'honneur, Croix de guerre 1939-1945 Croix de guerre 1939-1945,Médaille de la Résistance française Médaille de la Résistance française, Médaille de la Déportation pour faits de Résistance.)
je vous renvoie vers ce lien qui parle d'un autre livre présenté ici et qui avait agréablement suscité d'excellentes questions. Le Viet Minh et la Guerre psychologique



Yvonne Pagniez traite avec une certaine lucidité ce Vietnam de 1954 et des drames qui sont en train de s'y dérouler.
Avec l'appui de De Lattre de Tassigny, elle va parcourir de bout en bout ce pays en nous en donner le ton.
Ce livre est pour ma génération assez étrange, car il y a un certain parti pris et aussi quelques ambiguïtés ; Je m’explique :

De par son passé de résistance, mouvance Gaullienne, catholique pratiquante, elle ne porte pas dans son cœur les communistes, mais étrangement l'esprit de résistance qui la caractérise lui offre un regard plus mesuré sur le Vietminh, qui sans vraiment l'avouer dans ce livre, lui offre une résonance à ses propres combats passés.

Lorsque qu'on lit les mots d'Yvonne, on a l'impression d'entendre sa voix, un peu haute perché, un brin éraillé, avec un rythme sec et tranchant comme la parole d'un officier qui ferait un constat doux amère :

"Tissons-nous donc ici la toile de Pénélope? Usons-nous nos meilleures unités, nos cadres d'élite, à une tâche inutile, poursuivant un but illusoire ? On ne peut éviter de se poser cette angoissante question."

Mais que raconte ce livre me direz-vous ?
C'est une sorte de carnet de route, non pas sur la guerre, mais sur un peuple et un pays pris dans les serres de la guerre.
Elle raconte les marchés, les villages, la sécurité de ceux-ci, les déplacements risqués d'une régions à l'autre, de l'engagement des supplétifs, des prisonniers de guerre Viet-Minh et les retournés, etc.

Contrairement à la petite citation plus haut, Yvonne est pourtant assez enthousiaste et nous décrit toutes les initiatives réalisées pour construire une société alternative à celle du colonialisme dont le pays et son peuple avait mis à rude épreuve.
En lisant ces pages, on peut très bien sentir cette croyance en une fin de la guerre proche avec une nouvelle harmonie, une sorte d'utopie servi par les armes et la propagande.

Pourtant en fin d’ouvrage elle développe l’historique du pays à partir de 1945 pour renvoyer dos à dos les deux formes de Nationalismes mis à jour après la seconde guerre mondiale, dans un exposé d’une grande lucidité. C’est le genre de lecture qui me questionne toujours car lorsque l’on à ce type d’analyse, on peut toujours se demander pourquoi plus tard la politique US c’est autant fourvoyée dans ce conflit. La France avait pourtant essuyer les plâtres et décrit dans nombres d'ouvrages les impasses de ce conflit !

Ce n'est pas du Jean Lartéguy, ou même du Jules Roy, mais c'est très informatif sur une société en un temps donné, comme une photographie historique où l'on peut observer les gens et les objets immobiles dans leurs moindres détails et à loisir, un document précis.

Il y a quelques redondances avec son ouvrage Le Vietminh et la Guerre Psychologique, mais c'est une observation attentive qui trouve toujours les petits détails qui révèlent la guerre au milieu d'une population Indochinoise, qui vit avec en feignant de ne pas la voir, donnant parfois quelques indications qui sont parfois assez marrantes sur la cohabitation entre ennemis.

Yvonne (permettez que je l'appelle encore une fois par son prénom) fait aussi souvent le panégyrique des supplétifs qu'elle décrit avec beaucoup de respect, et tout comme le Vietminh, rend hommage à leurs ténacités.

"Cohorte pieds nus, en frusques rougeâtres de paysans, mais le fusil à l'épaule, grenades à la ceinture, et sur le visage cette expression résolue qui ôte à leur harnois tout ridicule."

Bonne lecture.