Indochine 1946-1962. Chronique d'une guerre révolutionnaire

Indochine 1946-1962. Chronique d'une guerre révolutionnaire de Bernard Fall. Éditions Robert Laffont 1962.

L'édition original en Anglais est sous le titre Street Without Joy, et j'ai cru longtemps que c'était le même titre en Français, soit Rue Sans joie. En effet la "Rue Sans Joie" était le surnom de la route N° 1 en bordure de littorale des côtes de l'Annam, entre Hué et Quang Tri. Cette portion servait de repère aux Vietminh et était source de bien des soucis pour le corps expéditionnaire qui n'arrivait pas à les déloger.

Bref, j'ai cherché quelques temps dans les bibliothèques un hypothétique "Rue Sans Joie" de Bernard Fall, mais rien ne l'indiquait dans sa bibliographie? Mystère. Heureusement qu'un blog US m'a mis sur la piste pour me faire comprendre que le titre qui nous occupe aujourd'hui était bien le même livre, sinon je chercherais encore... (Bin ouais, je suis un peu ballot*)



Quel plaisir de retrouver les lignes de Bernard Fall, qui dresse ici un petit précis de l'ensemble des batailles que mena le corps expéditionnaire (CEF) Français durant cette période.
On découvre avec surprise dans ce livre le déroulement des batailles qui eurent lieu, et la différence avec celles que menèrent les américain par la suite sont énormes.

Bernard Fall décris à merveille comment les troupes du CEF subirent et firent subir des dégâts considérables à l'un et à l'autre.
C'est presque avec délectation que l'on peut suivre heure par heure les mouvements ennemi, les contres offensives, les ratés, les erreurs fatales et les actions d'éclats que menèrent les deux parties en présences.

Ce que démontre ce livre, c'est que bien que cela soit une guerre de guérilla dans sont ensemble, les forces employées des deux cotés restent celles des armées conventionnelles avec leurs logistiques parfois lourdes (Surtout pour les CEF) et leurs choix tactique sur le terrain.

Bernard Fall met aussi en avant la grande valeur militaire du CEF qui est composée de militaire de carrière, d'anciens résistants, d'ancien combattants de la secondes guerre mondiale et de Corée, de la légion forte pourvue d'ancien soldat Allemand, de combattants autochtones montagnards ainsi que des bataillons complet Laotien.
Après avoir lu ce livre, on a une pensée émue pour tout ces hommes qui dans la plus part des cas ont combattu en sachant que tout était fichu pour eux et ont infligés avant de tomber sous les nués, des pertes considérables aux Bô Doï du général Giap.

Barnard Fall à aussi le grand talent de trouver des informations qu'aucun autre auteur n'a jamais couché sur le papier. Certaine anecdote sont parfois émouvante, surprenante, voir même drôle.

Celle par exemple me fit beaucoup rire:(l'action se passe près de Van Trinh lors de l'opération Camargue, dans la zone de la Rue Sans Joie)
Page 154

L'équipage d'un char du 1er Régiment Étranger de Cavalerie,- équipage dont devait probablement faire partie un ex-nazie, ingénieur en électronique dans le civil- eut l'idée géniale d'installer un... climatiseur (?) à bord de son engin. Cet aménagement peu orthodoxe fut découvert le jour où, le char étant tombé dans une embuscade et ayant été touché, ses occupants livrèrent un combat d'un acharnement surprenant pour le sauver.
On décora ces hommes pour leurs bravoure et , dans les bonnes traditions de la légion, on les expédia ensuite en prison pour avoir pris quelques libertés avec le matériel que l'état leur avait confié.
Mais étant donné la température de fournaise qui sous les tropiques règne dans un char fermé, leur geste eût peut-être mérité qu'on l'imitât sur une plus grande échelle...

Beaucoup d'autres informations sont présentes dans ce livre (environ une par page), et donc je vous fais grâce (et me fait grâce) de vous en recopier la plupart, mais par exemple:

On apprend aussi le problème de la taille, et donc du poids des paras Vietnamiens qui étaient équipé de parachute américain, destiné à des combattants en moyenne deux fois plus lourds qu'eux, et que lorsque le vent dépassait une certaine vitesse, ce qui pour d'autres paras ne posait aucun problème, les Vietnamien eux, ce retrouvaient dispersé sur des dizaine de kilomètres de leur point initiale avec des graves conséquences sur les pertes et les accidents.

ou

En Octobre 52, le Lieutenant Marion, depuis la tourelle de son char, aperçois sur le bas coté d'une route des traces de pneu qu'il juge suspectes.
En suivant ses traces son convois découvre sur les abords de la route, deux camions camouflés chargés de matériel. Au premier abord cela ressemble à des GMC américain, mais à y regardé de plus près, il découvre que c'est un célèbre "Molotova", fameux camion Russe qui restait encore fort discret sur le conflit, mais qui confirmait bien la livraison par les Russe de matériel plus lourd que des fusils!. (dans ce chapitre Fall explique aussi quel est le matériel roulant du Vietminh, c'est assez cocasse)

L'auteur souligne aussi que plusieur fois, après une attaque, le Vietminh laisse les blessés Français à la vue des secours, en les ayant pansés et sommairement soignés. Ce respect mutuel lorsque les combats prennent fin est assez récurant durant la guerre d'Indochine, et elle s'explique par les valeurs militaires partagées par les deux camps. Par la suite, le Viet cong n'ayant plus les moyens de faire quelques gestes que soit en raisons des pénuries de matériel dont ils furent accablé face aux américains, en particulier sanitaire et médical, et aussi par la haine sans commune mesure qui les anima durant cette seconde période. (Ce raisonnement n'engage pas l'auteur de ce livre car il n'y est pas développé dans le présent ouvrage)


Il y a un très beau chapitre sur le rôle des femmes dans ce conflit, qui dépassa de très loin leur service dans l'intendance, l'administration ou le milieu hospitalier.
Il existe une histoire où un commandement d'un camp de la CEF à envoyé une demande citation pour deux prostituées Vietnamiennes, qui accompagnèrent un convoi pour rejoindre les hommes d'un camps (dont le chef avait décidé qu'ils méritaient un petit réconfort, alors qu'ils étaient bloqués depuis des mois dans la jungle). Le convoi fut attaqué, mais les "dames" avec sang froid vinrent porter secours aux blessés et défendirent même le convoi, qui finalement arriva à bon port.
Les deux aventurière au final ne furent pas décoré car le commandement trouva cela un peu déplacé, et estima que l'image que cela allait donner servirait la propagande Vietminh (Très à cheval sur les question de débauche prétendue du soldat français.)
Mais de nombreuse autres femmes sont citées dans ce chapitre, et il est un peu triste à mon sens, que seule Geneviève de Galard (bien malgré elle), la dame de Dien Bien Phu soit restée la seule figure féminine de ce conflit, mais l'auteur met donc les pendules à l'heure et leur rend un vibrant hommage.

Si vous lisez ce livre un jour, au sujet des femmes, je vous laisse découvrir une histoire édifiante page 143 qui m'a mis la larme à l’œil (et oui) et qui force le respect, je n'en dirais pas plus car c'est d'une grande beauté d'âme.

Pour agrémenter ce belle ouvrage, vous trouverez aussi dans ce livre plusieurs cartes qui illustrent très bien les mouvements des troupes pendant certaines batailles, et des documents photographiques qui accompagnent les différents chapitres.



Je tire encore une fois mon chapeau, bien bas, à Bernard Fall, qui fut comme je l'ai déjà écrits une personne clairvoyante, minutieuse, respectueuse, et très bien informée sur ce conflit.

En lisant ses lignes on se demande encore comment les Américains se sont laissé prendre au même pièges que le CEF alors que de tels écrits étaient déjà en librairie avant l'engagement US au Sud Vietnam. De plus il nous mène jusqu'en 1962 avec la remonté en puissance des milices et des commandos Vietcong qui commencent à noyauter le tissu social et administratif de province entière.
Bref, l'histoire se répète avec une rigueur qui me fait parfois peur.

Bonne lecture.

Bernard Fall



Du même auteur sur ce beau forum:

-Dien Bien Phu. Un coin d'enfer.
-Dernières réflexions sur une guerre

* Rue sans joie est le titre d'un film de 1925 allemand qui eu beaucoup de succès et qui resta un grand classique, mais étant donné que l'histoire du film se passe dans un bordel, il fort possible que l'éditeur n'est pas voulu que la traduction littérale du titre de Fall puisse porter à confusion.

C'est une très bonne question ! Peut-être l’arrogance ou l’appât du gain ou encore tout simplement la bêtise aveugle des politiques ignorant tout des réalités de la guerre. C'est cette même bêtise qui a tué notre magnifique armée en Indochine. Et le plus émouvant dans tout ça, c'est qu'elle c'est laissé tuer pour l'honneur... juste pour la beauté du geste et quand la Legion s'en mele la mort en deviens presque théâtral !

Au regard de ton illustration, je me permets de préciser qu'il n'y avait pas que la légion en Indo au cas où l'on passerai par là en touriste, et je trouve que cette référence constante, fausse un peu la vision déjà embrumée que nous avons de cette très dure guerre.
Ramener l’héroïsme au seul fait de la légion est à mon sens très restrictif et c'est nier le sacrifice d'un très grand nombre, même si je sais que cela n'était pas ton intention bien sûr.

Beaucoup de combattants ne furent pas, par exemple dans le cas de Dien Bien Phu des hommes de terrain*, et l’héroïsme n'est pas l'apanage de la légion seule comme le confirme Bernard Fall ici, en décrivant des actions de simple bataillons d'infanteries coloniaux comme les Algériens, les Marocains ou les Sénégalais qui ne déméritèrent pas et eurent bien peu de reconnaissances.

Mais l’héroïsme et le sacrifice de cette guerre est en effet assez significative, car comme l'indique nos pertes avec un contingent moindre que celui engagé par l'armée américaine, furent de 78 867 (seulement en tués)! De quoi recouvrir un sacré mur de nom...

* Ce LIVRE en une parfaite illustration.

100% d'accord et je dirais même que le grand oublié de cette guerre c'est le soldat vietnamien des bataillons coloniaux qui lui se battait sans aucun espoirs de clémence de la pars de leurs frère ennemies. Et d'ailleurs ce n'est pas la France qui a sus non plus être reconnaissante envers ses soldats locaux et pourtant c'est un peuple tellement fidèle et reconnaissant. Pour preuve cette vidéo très récente:

Le trailler du DVD:


Video amateur:


Malheureusement on ne peu pas dire qu'il y a autant de français qui se pressent pour ce genre d' événements...